Open Access :
le travail scientifique en sciences humaines et sociales
et le débat public fragilisés par les mesures préconisées par la Commission européenne
Lettre ouverte des responsables de revues de sciences humaines et sociales de langue française à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, à la ministre de la Culture et de la Communication, aux présidents des universités et des grandes écoles et aux responsables des grands établissements de recherche
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Nous appelons à l’ouverture rapide d’une véritable concertation sur les enjeux de l’Open Access en sciences humaines et sociales ; la définition de périodes d’embargo suffisantes, permettant aux revues de choisir leur modèle économique (par exemple, en équilibrant le gratuit et le payant), est l’unique garantie de la diversité et de l’indépendance de la recherche scientifique et du débat public.
Nous, responsables de revues de sciences humaines et sociales, avons pris connaissance de la recommandation de la Commission européenne du 17 juillet dernier, concernant notamment l’Open Access. Dans ce texte, la Commission s’assigne pour objectif la diffusion en libre accès des « publications issues de la recherche financée sur fonds publics » dans les différents pays de l’Union. À titre transitoire, elle admet que le libre accès aux publications soit soumis à un embargo de 12 mois maximum, avant diffusion gratuite. Elle incite donc les États-membres à prendre les mesures nécessaires en ce sens.
Nous comprenons, bien évidemment, les objectifs de la Commission, notamment s’il s’agit d’améliorer les conditions d’accès à la création intellectuelle et à l’innovation scientifique et, pour tout dire, nous les partageons. Notre action quotidienne s’inscrit d’ailleurs exactement en ce sens, particulièrement quand nous participons, dans nos domaines d’activité respectifs, au développement et à la mise en valeur d’une science aussi riche et aussi diverse que possible.
Nous nous inquiétons cependant des conditions d’application éventuelle dans le domaine des sciences humaines et sociales d’un texte élaboré surtout pour remédier aux problèmes apparus dans le domaine des sciences de la matière et des sciences de la vie. Nous craignons, tout particulièrement, les conséquences que pourrait avoir l’instauration, au niveau national ou de façon décentralisée, établissement par établissement, de régimes qui obligeraient les enseignants-chercheurs et les chercheurs à diffuser gratuitement leurs publications via des sites d’archives ouvertes après une période d’embargo très courte.
À l’instar du Groupement français de l’industrie de l’information (GFII), nous voudrions rappeler que publier n’est pas éditer. Éditer des textes scientifiques demande, en effet, de les sélectionner, de les améliorer et de les valider via des échanges réguliers avec les auteurs, de « mettre en scène » – pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet – les dossiers et numéros thématiques, de corriger les épreuves et de les mettre en forme, d’imprimer et de diffuser ces textes et/ou d’en assurer la « mise en ligne » sur des plateformes à haute valeur ajoutée (notamment en enrichissant les textes d’hyperliens et en diffusant largement les métadonnées), de veiller à leur promotion, etc. Cela demande également d’impulser des thèmes nouveaux, d’accueillir ou de repérer de jeunes auteurs et de participer à la circulation internationale des idées. Autant d’activités et de services à la communauté et au public qui ont un coût, et qu’il est donc nécessaire de pouvoir financer au risque de ne plus pouvoir assurer une édition de qualité.
Nous craignons que l’embargo proposé par la Commission – 12 mois après l’édition sur support « papier » ou électronique – ne se révèle tout à fait insuffisant dans le domaine des sciences humaines et sociales, où l’économie des publications n’est envisageable que dans la durée, pour permettre le maintien d’un grand nombre de revues académiques, alors même que celles-ci constituent un outil essentiel au débat public ; nous estimons aussi qu’au-delà des revues académiques, les autres domaines de l’édition du savoir en sciences humaines et sociales, notamment les revues de débat ou d’opinion, pourraient être, eux aussi, menacés dans la mesure où leurs auteurs sont très souvent rémunérés sur fonds publics.
Nous redoutons donc que les mesures préconisées par la Commission européenne ne se révèlent rapidement contre-productives, qu’elles ne contribuent à altérer la qualité des publications de sciences humaines et sociales et qu’elles ne participent à appauvrir le débat intellectuel, à porter atteinte à la diversité – essentielle – du paysage éditorial et à limiter l’indépendance des auteurs.
La recherche d’outils et de méthodes qui permettent d’améliorer la visibilité et la circulation des publications de sciences humaines et sociales est au cœur de notre métier et nous n’avons cessé de travailler à leur plus large diffusion, en profitant notamment des opportunités que crée le développement du numérique. Bien que très sceptiques par rapport à la pertinence, dans nos disciplines, du modèle « auteur-payeur », nous sommes prêts à étudier la pertinence d’autres modèles de financement alternatifs. Mais nous considérons qu’en l’état actuel, ces modèles en sont encore au stade de l’expérimentation et qu’il est peu probable que, même à terme, un seul modèle puisse se révéler adapté à la situation des différents types de publications de sciences humaines et sociales.
Nous nous permettons en tout cas d’attirer l’attention des responsables du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du ministère de la Culture et de la Communication, des responsables des universités, des grandes écoles et des grands établissements de recherche sur le caractère sans doute irréversible des décisions qu’ils ont à prendre. Nous plaidons donc pour l’application, en la matière, du « principe de précaution », tant il est évident qu’à ce jour l’ensemble des conséquences des mesures préconisées par la Commission européenne n’a pas été étudié précisément.
En conséquence, nous appelons à la réalisation urgente d’une étude d’impact indépendante sur ces questions, étude d’impact qui devrait tenir compte à la fois des spécificités du domaine des sciences humaines et sociales et de celles des publications de langue française. Nous attendons aussi l’ouverture sans tarder d’une véritable concertation sur ces enjeux entre les acteurs publics précités, les associations de chercheurs, les sociétés savantes, les responsables des revues de sciences humaines et sociales et les éditeurs.
Avril 2013
Liste des 127 revues signataires
@GRH (le comité de rédaction)
Actes de la recherche en sciences sociales (le comité de rédaction)
Annales. Histoire, sciences sociales (le comité de rédaction)
Annales de Normandie (le comité de rédaction)
Annales historiques de la Révolution française (le comité de lecture et de rédaction)
L’Année balzacienne (le comité éditorial)
L’ Année sociologique (Pierre Demeulenaere, président du comité de rédaction)
L’Archéologie industrielle en France (le comité de rédaction)
Archipel (le comité de rédaction)
Archives juives (Catherine Nicault, rédactrice en chef)
Bulletin de l’institut Pierre Renouvin (Antoine Marès, rédacteur en chef)
Bulletin de psychologie (le comité de rédaction)
Les Cahiers de Gestalt-thérapie (le comité éditorial)
Cahiers de psychologie clinique (le comité de rédaction)
Cahiers du genre (le comité de lecture)
Cahiers Jaurès (le comité de rédaction)
Carrefours de l’éducation (le comité de rédaction)
Commentaire (le comité de rédaction)
Communication et langages (Jean-Louis Soubret, directeur de la publication)
Communication et organisation (Valérie Carayol, directrice de la publication)
Confluences Méditerranée (le comité de rédaction)
Connexions (le comité de rédaction)
Critique (le comité éditorial)
Critique internationale (le comité de rédaction)
Déviance et société (le comité éditorial)
Dialogues d’histoire ancienne (le comité éditorial)
Diogène (Maurice Aymard et Luca M. Scarantino, rédacteurs en chef)
Documentaliste – Sciences de l’information (le comité éditorial)
Education comparée (Régis Malet, rédacteur en chef)
Éducation et sociétés (Jean-Louis Derouet, rédacteur en chef)
Éducation permanente (le comité de rédaction)
Les Enjeux de l’information et de la communication (le comité éditorial)
Entreprendre et innover (le comité de rédaction)
Entreprises et histoire (le comité de rédaction)
Espaces et sociétés (le comité éditorial)
Esprit (Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef)
Ethnologie française (le comité éditorial)
L’ Evolution psychiatrique (Richard Rechtman, rédacteur en chef)
L’ Expansion Management Review (le comité de rédaction)
Flux (le comité éditorial)
Gérer et comprendre (Michel Berry, rédacteur en chef)
Gérontologie et société (Françoise Forette, directrice de la publication)
Gestalt (le comité de lecture)
Gouvernement et action publique (le comité de rédaction)
Guerres mondiales et conflits contemporains (le comité de rédaction)
Hérodote (le comité de rédaction)
Histoire et sociétés rurales (le comité de rédaction)
Innovations (le comité de rédaction)
Jeunes et médias (Laurence Corroy, directrice de la publication)
Journal de la psychanalyse de l’enfant (le comité éditorial)
Journal des africanistes (le comité de rédaction)
Le Journal des anthropologues (le comité de rédaction)
Journal de la société des océanistes (le comité de rédaction)
La Lettre de l’enfance et de l’adolescence (le comité éditorial)
La linguistique (le comité de rédaction)
Langage et société (Josiane Boutet, directrice de la publication)
Littératures classiques (le comité éditorial)
Management & Avenir (le comité de rédaction)
Marché et organisations (le comité de rédaction)
Matériaux pour l’histoire de notre temps (Association des amis de la BDIC)
Médiévales (le comité de rédaction)
Médium (le comité de lecture)
Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle (le comité de rédaction)
Monde(s). Histoire, espaces, relations (le comité éditorial)
Mondes en développement (le comité de rédaction)
Mots. Les langages du politique (le comité éditorial)
Mouvements (le comité de rédaction)
Négociations (le comité de rédaction)
Noesis (le comité de rédaction)
Nouvelle revue d’esthétique (Carole Talon-Hugon, directrice de la publication)
Nouvelle revue de psychosociologie (le comité de rédaction)
Parlement[s], revue d’histoire politique (le comité de rédaction)
Perspectives chinoises (le comité de rédaction)
Poétique (le comité de rédaction)
Pôle sud (le comité de rédaction)
Politix (le comité de rédaction)
Population et avenir (le comité de rédaction)
Projet (le comité de rédaction)
La Psychiatrie de l’enfant (le comité de rédaction)
Psychologie clinique et projective (le comité de rédaction)
Psychotropes (le comité éditorial)
Raisons politiques (le comité de rédaction)
Recherche et formation (le comité éditorial)
Recherches en didactiques (le comité éditorial)
Regards sur l’économie allemande (René Lasserre, président du comité de rédaction)
Relations internationales (Antoine Marès, président du comité de rédaction)
Repères, cahier de danse (le comité éditorial)
Réseaux (le comité de rédaction)
Revue archéologique (le comité éditorial)
Revue d’économie industrielle (Richard Arena, directeur de la publication)
Revue d’histoire des sciences humaines (le comité de rédaction)
Revue d’histoire du XIXe siècle (le comité de rédaction)
Revue d’histoire littéraire de la France (le comité éditorial)
Revue d’histoire moderne et contemporaine (le comité de rédaction)
Revue d’histoire nordique (le comité éditorial)
Revue de l’entrepreneuriat (Didier Chabaud, directeur de la publication)
Revue de l’histoire des religions (Charles Amiel, directeur de la publication)
Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes (Michel Casevitz et Philippe Moreau, co-directeurs)
Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe (le comité de rédaction)
Revue de synthèse (Éric Brian, directeur de la publication)
Revue des études grecques (le comité éditorial)
Revue du MAUSS (Alain Caillé, directeur de la publication)
Revue européenne des migrations internationales (le comité de rédaction)
Revue européenne des sciences sociales (le comité de rédaction)
Revue française de droit constitutionnel (Didier Maus, président du comité de rédaction)
Revue française de linguistique appliquée (Hélène Huot, directrice de la publication)
Revue française de pédagogie (Laurent Cosnefroy et Jean-Yves Rochex, rédacteurs en chef)
Revue française de psychanalyse (le comité de rédaction)
Revue française de science politique (le comité de rédaction)
Revue française de socio-économie (le comité de rédaction)
Revue historique (le comité éditorial)
La revue internationale de l’éducation familiale (le comité de rédaction)
Revue philosophique (le comité de rédaction)
Revue politique européenne (le comité de rédaction)
Romantisme (le comité de rédaction)
Santé publique (François Alla, rédacteur en chef)
Social Science Information sur les sciences sociales (Anne Rocha Perazzo, rédactrice en chef)
Sociétés contemporaines (le comité de rédaction)
Sociétés (le comité éditorial)
Sociologie du travail (Didier Demazière, directeur de la publication)
Sociologies pratiques (le comité de rédaction)
Staps (le comité éditorial)
Techniques & culture (Frédéric Joulian, rédacteur en chef)
Télévision (le comité de rédaction)
Travail, genre et sociétés (le comité de rédaction)
Tréma (Jacques Gleyse, directeur de la publication)
Tsingy (Frédéric Garan, directeur de la publication)